PM 62 - Éditorial

Vers l’unité pour la mission de Dieu ?

Michel Mallèvre

La division des chrétiens est-elle un handicap pour l’annonce de l’Évangile ? La réponse à cette question n’est pas si aisée. Certains analystes soulignent en effet que la multiplicité des communautés évangéliques pentecôtistes a pu contribuer à la diffusion du message chrétien et que la pluralité chrétienne n’est pas nécessairement un scandale pour autant que les relations entre communautés soient pacifiques. En fait, au-delà de considérations sur l’efficacité des moyens de diffusion du message évangélique, la question nous renvoie à ce que le Christ demande à ses disciples, à ce que doit être une évangélisation en profondeur et plus encore au mystère de l’Église.

Ce débat a été présent lors d’un récent événement largement négligé par les médias : le deuxième rassemblement international du Forum chrétien mondial, en octobre 2011, à Manado, en Indonésie, réunissant trois cents personnalités représentatives du plus large éventail de sensibilités chrétiennes. L’idée de cette nouvelle plate-forme de rencontre est née au début des années 1990 de la prise de conscience que le Conseil œcuménique des Églises ne représente plus actuellement qu’un petit quart du monde chrétien. En effet, à ce jour, ni l’Église catholique ni la majorité des communautés évangéliques-pentecôtistes n’en sont membres. Comment donc permettre à des représentants de toutes les confessions de se rassembler ? Accueilli d’abord avec scepticisme, le projet du Forum chrétien mondial a commencé de prendre forme avec des rencontres par continent à partir de 2004, pour se concrétiser par un premier rassemblement mondial à Limuru, au Kenya, en novembre 2007.

Un tel rassemblement mérite de retenir notre attention à cause de l’ampleur de la participation, mais aussi par sa méthode : commencer non par un débat de type académique, auquel sont habitués les experts des grandes Églises, mais plutôt par un partage sur l’expérience spirituelle faite par chacun. Bref, une autre manière de dialoguer, ou plutôt de s’écouter pour créer les conditions d’un dialogue entre des disciples de Jésus reconnaissant mutuellement l’authenticité de leur relation avec le Christ.

Au cœur de ce processus, il y a bien entendu la préoccupation commune de l’annonce de l’Évangile dans un monde en profond bouleversement. Le message des participants au rassemblement de Manado le reconnaît : « Nous percevons l’espace ouvert du Forum chrétien mondial comme un don de Dieu. Au milieu d’un monde et d’une Église fragmentés, cette expérience unique d’unité, englobant le christianisme mondial dans son ampleur, est une source d’inspiration et d’espérance. Nous croyons que c’est un modèle de construction de relations chrétiennes authentiques qui convient en chaque lieu. Nous savons que l’Esprit de Dieu amène le corps du Christ vers l’unité pour la mission de Dieu dans le monde. » Par ailleurs, la Déclaration directrice affirme : « Un des aspects de cette unité est l’évidence attestée par nos témoignages de foi partagés que nous sommes des compagnons de la mission de Dieu, appelés et envoyés par le même Seigneur Jésus Christ et fortifiés par le même Saint-Esprit. Nous croyons que cette reconnaissance de partager la mission de Dieu doit se manifester aussi au niveau local (sans) éviter les problèmes de la mission qui divisent les chrétiens, par exemple les compréhensions différentes de la croissance de l’Église. »

Précisément, les rassemblements locaux, notamment, lors de la Semaine de prière pour l’unité, sont encore trop souvent organisés par les mêmes communautés qui ont parfois bien du mal à s’ouvrir à d’autres en reconnaissant l’évolution du christianisme mondial. Sur le terrain, la concurrence et les jugements rapides l’emportent encore sur le désir de mieux se connaître et de se rapprocher. Puisse la prise de conscience des responsables mondiaux de toutes les confessions chrétiennes, souvent accusés de retarder l’unité, être entendue !


Michel Mallèvre, dominicain, est directeur du Centre d’études œcuméniques Istina, à Paris. Il est aussi enseignant à l’Institut Catholique de Paris et membre du Groupe des Dombes..