Assemblée Générale de l’Association Francophone Œcuménique de Missiologie

23-24 mai 2003

Présentation d’A. Tihiri LUCAS



La mission du théologien dans le Sud ?

Quelques perspectives missionnaires mäòhi durant ces trois dernières décennies

1. Le rejet du Dieu de l’Évangile comme condition du renouveau de l’identité. 2

2. La mise en adéquation du Dieu de l’Évangile avec le dieu Taaroa comme condition de retrouvailles de l’identité originelle 3

3. Le théologien de la croix et la question de l’identité autochtone. 4

4. Quelques éléments de relance. 6

La question de la “ mission du théologien dans le Sud ” s’inscrit évidemment dans des champs géographiques, historiques, ecclésiologiques et théologiques qui sont à la fois vastes et complexes[1]. Néanmoins, en vue d’y apporter quelques éléments de réponses, des précisions contextuelle, disciplinaire et méthodologique nous sont nécessaires. Pour ma part, je me situe dans le contexte protestant de l’Église évangélique en Polynésie française qui est le fruit des œuvres de la London Missionary Society (environ 1797-1863), de la Société des Missions Évangéliques de Paris (1863-1963) et des autochtones convertis lors de ces deux phases d’évangélisation[2].

Dans un premier temps, à partir du domaine de la théologie systématique, et plus précisément à partir d’une approche psycho-anthropologique et théologique[3], je présenterai et analyserai très sommairement deux théologiens qui ont marqué le protestantisme mäòhi durant ces trois dernières décennies. Il s’agit d’Henri Hiro et de Turo Raapoto. Ils se sont formés en France dans les années 60-70 et sont considérés comme les pères fondateurs du “ renouveau de l’identité culturelle mäòhi[4]. Chacun s’est engagé dans une mission théologique particulière ayant pour base commune la question de l’identité autochtone aux prises avec le colonialisme français et la décadence culturelle. Selon le premier, pour être Mäòhi, il faut rejeter le Dieu de l’Évangile et récupérer les dieux ancestraux. Et selon le second, pour être Mäòhi, il faut établir l’adéquation entre le Dieu de l’Évangile et le dieu Taaroa (l’un des dieux ancestraux appelé aussi Te Tumu Nui).

Après la très brève présentation de ces deux penseurs mäòhi, je ferai, dans un deuxième temps, quelques remarques à propos de ces deux compréhensions de la mission du théologien en Polynésie. Puis, je dégagerai quelques pistes possibles pour une théologie de la croix.

1. Le rejet du Dieu de l’Évangile comme condition du renouveau de l’identité

En 1973, Hiro proclame au sein de sa communauté protestante : “ Dieu est mort. Il n’y a plus de Dieu[5]. Pour lui, si le Dieu de l’Évangile est réellement vivant, pourquoi permet-il alors aux dirigeants et aux fidèles de l’EEPF d’être sourds et aveugles face aux essais nucléaires français sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa depuis 1966 ? Si ce Dieu existe, pourquoi n’intervient-il pas pour libérer le peuple mäòhi soumis au colonialisme français depuis la moitié du XIXème siècle ? Si un tel Dieu est amour, pourquoi abandonne-t-il les Mäòhi dans la “ restriction ” (rähui) de l’identité culturelle autochtone, restriction décrétée impétueusement par les Occidentaux avec la complicité de la dynastie des Pömare (rois tahitiens du XVIIIème au XIXème siècle) ? S’il est donc impératif, selon Hiro, d’abandonner le Dieu des chrétiens, ce n’est pas pour tenter de retrouver des enracinements identitaires qui n’existent plus. Mais, c’est pour mieux libérer les insulaires afin qu’ils puissent penser et reconfigurer leur identité en tissant les restes de la culture qui subsistent encore avec les éléments culturels occidentaux.

Quelle est alors la mission du théologien dans ce projet de “ renouveau de l’identité culturelle ” ? Pour sa part, Hiro apporte deux réponses. Dans la première, le théologien n’a pas de place dans ce programme identitaire. Ainsi, de 1973 à 1985, il s’engage dans les œuvres de revalorisation de la culture mäòhi (théâtre, cinéma, manifestations folkloriques sur les sanctuaires appelés marae, etc.), mais aussi dans les actions socio-politiques (pour un système pensé par les Mäòhi) et écologiques (contre le nucléaire). Ne réussissant pas à aboutir dans ces perspectives comme il l’avait souhaité, il abandonne alors ses engagements. Et là, il commence à exprimer plus ouvertement sa deuxième réponse : le théologien est celui qui doit convaincre les insulaires à croire que les dieux ancestraux peuvent à nouveau les aider à vivre et à s’assumer en tant que Mäòhi dans leur culture et dans leur société. Ici, Hiro utilise le langage poétique[6]. Certes, son discours poétique n’est pas toujours facile à comprendre à cause des expressions mäòhi très archa◊ques. Toutefois, on peut y discerner les quelques principaux messages suivants :

— La singularité de ton être vient de la parole de ton père. Cette identité, en tant que telle, échappera toujours à tes tentatives de maîtrise. Cependant, dans ta vie de migrateur, elle y est et sera toujours présente et en même temps absente.

— La spécificité de ta culture est le résultat de ton positionnement par rapport à ta mère. Tous les éléments vitaux de l’être humain proviennent de la mère. Si tu l’abandonnes, tu perdras tes racines culturelles. Dans le cas contraire, c’est-à-dire en t’y référant, tu développeras ta culture autochtone avec la liberté d’intégrer les valeurs des autres cultures.

— Avec la singularité de ton être, la spécificité de ta culture doit tenir compte de tes dieux ancestraux. Car, les connaître sans pour autant leur attribuer un culte particulier, cela te permettra de bien vivre dans ton contexte en tant que pêcheur, agriculteur et bon père de famille. En vue de garantir ce bien vivre, crée-toi un dieu personnel dont tu seras le seul à connaître l’ultime sens de son nom. Et pour éviter que ce dieu ne devienne aussi le dieu de quelqu’un d’autre, tue-le une fois créé.

— Souviens-toi aussi du Dieu de l’Évangile, car il a certainement un message authentique pour toi.

On sait ce qu’est ce message authentique de l’Évangile pour Hiro : en Jésus-Christ, l’homme renaît comme “ enfant de Dieu ”[7]. Sans trop entrer dans les remarques, on peut au moins noter que Hiro n’a pas pu assumer jusqu’au bout la première mission qu’il a tenue à incarner, c’est-à-dire construire l’identité culturelle avec les dieux mäòhi. C’est en cheminant dans le champ du religieux chrétien qu’il fait l’expérience d’une autre dimension de l’identité. Ainsi, dans l’un de ses poèmes, il laisse sous-entendre que seul le Christ rencontré dans la foi peut transformer radicalement l’homme, y compris le Mäòhi[8]. Malheureusement, il ne nous en dira pas plus, puisqu’il décèdera (en 1990 suite à une longue maladie) quelque temps après cette confession.

2. La mise en adéquation du Dieu de l’Évangile avec le dieu Taaroa comme condition de retrouvailles de l’identité originelle

Depuis 1988, Raapoto est le principal penseur de la Commission d’Animation Biblique de l’EEPF. Contrairement à Hiro, l’existence du Dieu de l’Évangile ne lui pose aucun problème. Sa principale assertion théologique consiste plutôt à affirmer que Jéhova, le Dieu des Hébreux et de Jésus-Christ, et Taaroa, le dieu créateur (Te Tumu Nui) mäòhi ne sont en fait qu’un seul et même Dieu[9]. Ici, le théologien est d’abord celui qui doit convaincre les autochtones qu’ils constituent le peuple élu par Dieu-Jéhova-Taaroa, et que l’arrivée des missionnaires en Polynésie en 1797 n’apporte rien de radicalement nouveau si ce n’est le rappel de cette élection divine et la redécouverte de l’Évangile qui était déjà-là et que les ancêtres avaient abandonné pour adorer les dieux en pierre et en bois[10]. Ensuite, le théologien est celui qui doit interpréter l’histoire de la décadence culturelle à la lumière de la Bible et de la langue vernaculaire pour en dégager l’exode du peuple mäòhi hors du système colonialiste français.

En résumé, Raapoto postule que les Mäòhi peuvent retrouver leur identité originelle en retournant vers la terre qui est la mère des autochtones. La terre aidée de la “ nature ” indique le chemin qui conduit vers Dieu-Jéhova-Taaroa. Ce chemin est aussi celui révélé par Jésus. Retourner à la terre/mère, consiste à :

— parler en premier lieu sa langue maternelle et non pas la langue française ;

— vivre selon les spécificités désignées par la terre mäòhi et non pas selon les coutumes françaises et occidentales définies par les particularités de leur terre ;

— et vivre sa croyance (faaroo) en communauté en veillant à ce que cette croyance se maintienne dans une vie où les hommes, la terre, la “ nature ” et Dieu sont en harmonie, l’harmonie étant régie par l’accomplissement des désirs de Dieu.

Ainsi, selon Raapoto, seule cette expérience permet à l’autochtone de retrouver son identité originelle et donc d’avoir la certitude d’être sur le chemin qui mène vers Dieu, vers le Royaume qui est réellement déjà-là (la terre habitée conformément aux accomplissements des désirs de Dieu). Autrement dit, pour ce théologien, si tu ne retrouves pas ton identité originelle révélée par la terre/mère et par la langue autochtone, tu ne pourras pas rencontrer Dieu. Et si tu souffres dans ta vie, c’est parce que tu es habité par l’identité occidentale et non pas par la tienne.

En 2002, c’est-à-dire après avoir sacralisé la langue, la terre, l’identité originelle et la culture originelle, il ne reste plus à Raapoto qu’à affirmer, en se basant sur la réunion de Dieu et de ses petits dieux en Genèse 1/26, le statut divin de l’autochtone[11]. Toujours selon ce théologien, les passages de 1 Jean 3/10 et 4/7 confirmeraient la divinité du Mäòhi qui lui permettrait de se reconnaître, au même titre que Jésus, comme “ enfant de Dieu ” et “ enfant de la terre ”[12]. Ici, le problème ne consiste pas à vouloir “ être comme des Dieux ” (Genèse 3/5), mais il se situe plutôt dans le refus de l’autochtone d’être divin (enfant de Dieu) et d’être humain (enfant de la terre). D’une certaine manière, Raapoto développe une sorte de théologie babélique inversée : c’est en descendant vers le tréfonds de la terre/mère révélée par la “ nature ” et par la langue que l’homme peut retrouver son double statut divin et humain, c’est-à-dire son identité originelle. Ici, il va de soi que le ministère de Jésus et la révélation naturelle de la terre sont en parfaite adéquation : ce que révèle Jésus, c’est tout simplement ce que le Mäòhi peut découvrir en contemplant la terre/mère/nature.

3. Le théologien de la croix et la question de l’identité autochtone

Si Hiro et Raapoto s’inscrivent bien parmi les théologiens réactionnaires du Pacifique Sud, il n’en demeure pas moins que leurs postulats théologiques respectifs ne doivent pas laisser indifférents notamment les théologiens polynésiens[13]. Ceci étant, je ferai au moins deux remarques suscitées par ces deux théologiens.

— Le théologien de la croix ne doit pas fuir devant ces deux forces théologiques et missionnaires autochtones :

Hiro a dû changer de mission en cours de route : dans sa poésie, et bien que le Dieu de l’Évangile ne soit jamais cité en tant que tel, des mots et expressions bibliques témoignent d’un message de conversion et d’une nouvelle mission possible pour ce théologien. Toutefois, la question de l’identité est restée bloquée dans une compréhension maternelle de la culture, et son langage poétique révèle une identité appauvrie qui renferme les autochtones dans une vision de leur monde qui ne dépasse pas la barrière insulaire du récif et qui, en fin de compte, ne s’ouvre pas tellement aux modernités mäohi, polynésiennes, occidentales et autres.

Raapoto, lui aussi, a changé de mission en chemin : en 1988, il prétendait résoudre la question de l’identité par le moyen de l’indépendance socio-politique. En 2002, cette question trouve enfin une voie salutaire dans le double statut divin et humain que Dieu et la terre offrent aux îliens. Dès lors, la mission du théologien consiste à aider les Mäòhi à se sacraliser en devenant des dieux-hommes. C’est dire que là où la pauvreté identitaire de Hiro permet, contre vents et marées, d’espérer quelques ouvertures possibles créées par le langage biblique, l’identité originelle de Raapoto est hermétiquement blindée par les textes scripturaires.

Ici, la mission d’une théologie de la croix est de faire résonner le salut sola fide[14]. Dans un protestantisme du type hiroïen, il y aurait, par exemple, un travail d’accompagnement à faire à partir du texte de Luc 15/11-39 : à son retour à la maison paternelle, le fils cadet est à nouveau accueilli par le Père, et il redécouvre que l’identité de filiation est de l’ordre du don de la part du Père. Dans un protestantisme du type touroïen (Raapoto), un programme d’accompagnement pourrait être établi à partir, par exemple, du texte de Marc 5/1-20 : l’homme possédé reçoit gracieusement sa libération par la seule parole de Jésus qui l’inscrit à nouveau dans sa généalogie familiale et non plus parmi les forces des tombeaux et les légions qui constituent des figures non-humaines (animales : porcs).

Comme nous le voyons, pour faire résonner le salut sola fide qui offre une filiation adoptive, le théologien se doit aussi de s’atteler à un long travail de démystification théologique pour repérer, au risque de se tromper, les divinités dominantes qui aliènent pathologiquement, en tant qu’idoles, les êtres humains. Dans le protestantisme hiroïen, l’idole a pour nom “ Òihanu ” qui représente pour Hiro le dieu de l’identité spécifiquement mäòhi : ce nom peut être à peu près traduit par “ oui méprisant ” ; c’est ce genre de “ oui ” qui précède et constitue l’identité hiroïenne. Ce mépris de soi, de l’autre et de tout ce qui fait altérité, Hiro l’a assumé dans sa poésie jusqu’au moment où il semble avoir rencontré enfin quelqu’un qui lui dise tout simplement “ oui ”. Dans le protestantisme touroïen, l’idole est nommée “ Te Tumu Nui ”, c’est-à-dire la “ Grande Origine ” : pour Raapoto, le Mäòhi peut accéder, par le retour à la terre/mère, à son identité originelle qui fait de lui à la fois un dieu et un homme. Seule une rencontre du type de Jésus et de l’homme possédé peut faire basculer l’idole “ Te Tumu Nui ”. L’avant et l’après de cette rencontre ne met pas pour autant le théologien au chômage : avant cette rencontre, il ne devrait pas se décourager de témoigner du Christ de la croix et de la résurrection, et après cette rencontre, il devrait témoigner de l’hospitalité évangélique dans la communauté croyante, louante, témoignante et servante.

— Le théologien de la croix devrait aider les îliens à relire leurs mythes en comparaison avec les mythes universels et bibliques :

Hiro et Raapoto ont pratiquement été incapables de relire les mythes de leur propre culture. Ils connaissent à peu près quelques divinités locales et le nom de l’ancêtre de l’arbre à pain. Mais, ils semblent manifestement ignorer le nom de l’ancêtre du cocotier auquel pourtant ils font souvent allusion. Les récits concernant ces deux ancêtres posent fondamentalement la question de l’identité. Ces deux ancêtres incarnent respectivement une figure paternelle (l’une étant trop humaine — l’ancêtre de l’arbre à pain — et l’une trop animale — l’ancêtre du cocotier) qu’il faut absolument tuer pour que devienne possible, dans l’après-coup, une vie où les dimensions symboliques de la relation filiale sont marquées par l’interdit de l’inceste et l’interdit du meurtre. Comme nous pouvons le constater, la question anthropologique du meurtre freudien du Père imaginaire est capitale pour l’émergence d’une instance langagière où le Père Symbolique advient en nommant le fils ou la fille[15]. Autrement dit, le Mäòhi en tant qu’humain n’échappe pas à la structure œdipienne. Hiro semble savoir quelque chose qui est de cet ordre-là, puisqu’il tue lui-même son dieu “ Òihanu ”. Mais, il restera co◊ncé du côté maternel. Raapoto n’arrive pas à faire mourir son dieu “ Te Tumu Nui ”. Pour lui, même la mort crucifiée de Jésus ne constitue pas un moment pour mener une réflexion à propos de la résurrection du Christ et du croyant.

Par rapport aux théologies hiroïenne et touroïenne, le théologien de la croix aura moins de chance d’avoir du succès avec ce travail analytique des mythes polynésiens, d’une part, parce qu’il vit dans un contexte où la demande socio-religieuse réclame fortement du folklore, du “ lore ” pour le peuple, c’est-à-dire de ce qui fait jouir le peuple ; et d’autre part, parce ces récits mythiques fonctionnent comme des textes de loi qui posent l’homme comme humain et non pas comme divin bien que ce dernier statut habite l’humain en son désir inconscient. Néanmoins, le théologien de la croix ne perdra pas son temps et son énergie à travailler dans son contexte les spécificités du folklore qui anime inconsciemment le désir humain. Hiro et Raapoto semblent d’accord pour dire que le désir mäòhi a tendance à tendre vers le côté du maternel. Il appartient alors au théologien de la croix d’indiquer le possible chemin du désir ver le côté paternel, vers une instance tierce de nomination symbolique, voire directement vers le côté de la croix du Christ pour une possible inscription dans une relation de filiation adoptive. D’une certaine manière, le théologien de la croix se soucie plus de l’individu que du peuple. Cela ne signifie pas qu’il soit indifférent à la situation actuelle et à la destinée de son peuple contextuel et de son peuple ecclésial local. Mais l’un des signes de solidarité qu’il peut témoigner vis-à-vis d’eux se situe dans son engagement à accompagner individuellement un membre qu’il soit Mäòhi, “ Demi ” (Métis) ou qu’il soit un étranger, bref quelqu’un que le Seigneur lui confie.

4. Quelques éléments de relance

Il y a, bien entendu, d’autres points que je n’ai pas abordés : l’héritage de nos pères missionnaires, le rapport aux Écritures, la question de la “ lisibilité ” de la Bible protestante qui date de 1878, la catéchèse pour enfants, jeunes, adultes, l’aumônerie hospitalière et pénitencière, la liturgie et la dimension cultuelle, la formation théologique et pastorale, l’œcuménisme et l’inter-religieux, l’évangélisation, la cruciale question de l’adoption en Polynésie, la délinquance, les pathologies familiales, l’indépendance politique, le rapport des autochtones à la terre, les relations entre autochtones, occidentaux et autres ethnies, etc.

Mon but était d’illustrer partiellement, à partir des théologies de Hiro et de Raapoto, le possible travail psycho-anthropologique et théologique qu’un théologien de la croix peut entreprendre dans son contexte intra-ecclésial et extra-ecclésial sans leurrer les autres et sans s’illusionner soi-même sur la question de l’identité humaine et de l’identité évangélique. D’une certaine manière, si mission il y a pour moi, elle se situe dans

— l’analyse des missions des idoles autochtones, “ autochtones ”, christianisées et autres dans mon contexte ;

— l’étude des types de pathologies qu’elles sont capables de créer au niveau de l’identité individuelle et du vivre-ensemble ;

— et à partir de-là, prêcher un évangile contextualisé certes, mais surtout adapté à l’individu dans l’espérance de sa conversion et de son inscription dans une nouvelle posture identitaire devant Dieu et dans son monde.

Paris, le 24 mai 2003

A. Tihiri LUCAS



[1] Intervention de 20 minutes à l’assemblée générale de l’AFOM (24/05/2003). NB : “ Mäòhi ” désigne le Polynésien de Polynésie française, et “ Mäori ” le Polynésien de Nouvelle-Zélande (contexte polynésiano-anglophone).

[2] Pour un bref aperçu du protestantisme mäòhi, cf. entre autres, Charles VERNIER, Tahitiens d’hier, Tahitiens d’aujourd’hui, Paris : Société des Missions Évangéliques de Paris, 1948 ; Henri VERNIER, Au vent des cyclones. Puai noa mai te vero. Missions protestantes et Église Évangélique à Tahiti et en Polynésie Française : Une église polynésienne 1797-1963-1985, Papeete/Paris : EEPF/Les Bergers et les Mages/Haere no Tahiti, 1986 ; Jacques NICOLE, Au pied de l’écriture. Histoire de la traduction de la Bible en tahitien, Papeete : Haere no Tahiti, 1988 ; Jean-François ZORN, Le grand siècle d’une mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914, Paris : Karthala/Les Bergers et les Mages, 1993, p. 137-244 ; G. Marama TAUIRA, “ Bref aperçu du Protestantisme en Polynésie ”, in : Collectif, Une vie polynésienne, 5 mars 1797-1997, Te oraraa porinetia, 5 no mäti 1797-1997, Papeete : EEPF/Haere no Tahiti, 1997, p. 12-27 ; et Claire LAUX, Les théocraties missionnaires en Polynésie au XIXe siècle, Paris : L’Harmattan, 2000.

[3] Concernant ce type d’analyse psycho-anthropologique en articulation avec une théologie de la croix, cf. Jean ANSALDI, “ Une discipline ancienne et nouvelle : la psycho-anthropologie religieuse ”, in : Études Théologiques et Religieuses, Montpellier, 1994/1, p. 39-52, ainsi que Jean-Daniel CAUSSE, La haine et l’amour de Dieu, Genève : Labor et Fides, 1999.

[4] Cf. Bruno SAURA, “ Culture et renouveau culturel ”, in : Encyclopédie de la Polynésie, vol. 9, Papeete : Christian Gleizal, 1988, p. 57-72, et un pour aperçu biographique de ces deux théologiens, cf. Politique et religion à Tahiti, Piraè : Polymages/Scoop, 1993, p. 284-305.

[5] Traduction de : “ Ua pohe te Atua. Aita e atua faahou ”, texte cité par J. Here HOÌÒRE, Prophetism in Tahiti, Mémoire de bachelor of divinity, Pacific Theological College, Suva, 1980, p. 119.

[6] Cf. l’ouvrage posthume qui lui a été consacré, Pehepehe i taù nünaa. Message poétique, Papeete : Tupuna Productions/Te Reo o Tefana, 1991.

[7] Cf. Ralph TEINAÒRE, “ Uiuiraa manaò… ”, (interview du CEI de l’EEPF : 23/06/85) Veà Porotetani, 2000/2, p. 16-17.

[8] Cf. le poème intitulé “ Te Maitaì ” (La Bonté), in : H. HIRO, Pehepehe i taù nünaa. Message poétique, op. cit., p. 62-65. Notons que la dimension de “ sous-entendu ” de ce poème nécessite une exégèse et une comparaison avec le texte d’Actes 9/1-19.

[9] Turo RAAPOTO, Poroì i te nünaa mäìtihia e te Atua [Message pour le peuple élu par Dieu], Papeete : EEPF/Tomite Rautï i te Parau a te Atua, 1989, p. 30, 45-46.

[10] Cf. T. RAAPOTO, ibid., p. 45, ainsi que Te parau maitaì o te Hau o te Atua. (Oia te Èvaneria o te Pätireia) [La bonne nouvelle du Royaume de Dieu. (C’est-à-dire l’Évangile du Royaume)], Ârue : 1997 (s. éd.), p. 116-117.

[11] T. RAAPOTO, Te tamarii [L’enfant], Ârue/Tämahana : 2002 (s. éd.), p. 26-28, 68-69.

[12] T. RAAPOTO, ibid., p. 68-69.

[13] Jusqu’à présent, c’est plutôt la théologie de Raapoto qui a été analysée, cf. B. SAURA, “ Théologie de la libération et théorie de la culture ”, BSEO, t. 1, 1989/11-246, p. 1-15, et A. Tihiri LUCAS, “ Te ture e te Èvaneria ” (La loi et l’Évangile), in : Collectif, Te Pïpïria i roto i te mau Haapiiraa Täpati a te EEPF (La Bible dans les Écoles du Dimanche de l’EEPF), Papeete : TPHT, 1994, p. 49-86, ainsi que Èpitetore i to te Tomite Rautïraa Pïpïria a te EEPF (Épître à la Commission d’Animation Biblique de l’EEPF), lettre n° 212/PPR/TPHT/01/07/94.

[14] Pour une relecture paulienne et luthérienne du salut sola fide, cf. J. ANSALDI, L’articulation de la foi, de la théologie et des Écritures, Genève : Labor et Fides, 1990.

[15] Cf. S. FREUD, Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Paris : PBP, 1998, J. ANSALDI, La paternité de Dieu : libération ou névrose ? Cahier spécial d’Études Théologiques et Religieuses, Montpellier, 1980, ainsi que Jo∂l DOR, Le père et sa fonction en psychanalyse, Ramonville Saint-Agne : Éditions Érès, 1998.